Par les Drs TROCH & DESBARAX
Souvent on pense que la recherche de moyens pour soulager la douleur est une quête aussi vieille que l'antiquité. Ceci n'est pas tout à fait vrai. La douleur a été longtemps considérée comme faisant partie de la nature humaine, comme un héritage inaltérable laissé par les dieux.
Bien que souvent, usage a été fait par les Grecs et les Romains
et plus tard, au Moyen Age, de vapeurs soporifiques et analgésiques d'herbes,
d'opium ou d'alcool, il ne s'agissait pas d'une réelle recherche d'antalgique
et encore moins d'une véritable anesthésie chirurgicale.
Le véritable changement dans les mentalités se produisit au milieu
du 19e siècle. A ce moment on s'aperçut que la douleur associée
a la chirurgie pouvait être évitée et l'on eut la volonté
qu'il en soit ainsi. Il n'y eut cependant pas de réelle recherche au
sens scientifique du terme et les premières anesthésies à
proprement parler furent plutôt le résultat de concours de circonstances.
Le plus bel exemple en fut la découverte des effets analgésiques
du protoxyde d'azote (N2O) dont les propriétés anesthésiques
avaient déjà été décrites en 1796. Ce gaz
était utilisé comme une attraction foraine. Des volontaires respiraient
le protoxyde dans une tente et ensuite le public s'amusait de leur ébriété.
A cause des rires de l'assistance, ce gaz était appelé "gaz
hilarant".
Lors d'une représentation assistait un dentiste. Il remarqua qu'un de
ses amis qui s'était porté volontaire pour respirer le gaz, ne
ressentait aucune douleur alors qu'il s'était blessé. Le lendemain,
la première narcose au gaz hilarant eut lieu pour une chirurgie dentaire.
C'était en 1844.
Il y eut plusieurs tentatives pour utiliser de l'éther dont les propriétés
narcotiques étaient connues depuis 1796 mais celles-ci sont restées
très peu documentées.
C'est en 1846 que Morton (USA) utilisa l'éther avec succès comme agent anesthésique pour une procédure chirurgicale. Cette action valu à celui-ci d'être considéré comme un des pionniers de l'anesthésie.
La nouvelle se répandit rapidement des Etats-Unis en Europe. Malgré
les déclarations en 1839 d'un éminent chirurgien français
qui prétendait que la douleur était une partie indissociable de
l'acte chirurgical, l'utilisation de l'éther comme agent anesthésique
connut un vif engouement.
La technique était simple: une bouteille d'éther munie d'un compte-gouttes
et une compresse qui recouvrait la bouche et le nez.
A partir de ce moment, les choses vont s'accélérer. Plusieurs
formes de masques vont être fabriquées mais surtout on va chercher
à construire des appareils qui vont permettre de titrer les vapeurs d'éther.
L'entreprise n'était pas si facile attendu que l'éther se refroidit
en s'évaporant et donc s'évapore moins.
Différents types de masques, de compte-gouttes sont visibles au musée.
Ils datent du 19e siècle.
Les anesthésies se pratiquaient en ambulatoire (mais à cette époque,
c'était l'anesthésiste qui était ambulant). Les anesthésistes
disposaient d'une trousse composée d'un flacon compte-gouttes et d'une
pincette pour tirer la langue si celle-ci venait à obstruer les voies
respiratoires.
Un problème se posait également pour l'administration du "gaz
hilarant". L'inhalation du gaz pur apporte inconscience et analgésie
mais cela n'est possible que pendant une très courte période à
cause de l'absence d'oxygène et de l'hypoxie qui en résulte. Des
appareils furent donc construits pour permettre un apport minimal d'air ou encore
mieux d'oxygène.
Le Chloroforme (propriétés anesthésiques connues depuis 1835) fut un concurrent très sérieux pour l'éther. Il était puissant et rapide et de plus, plus agréable que l'éther à respirer. Mais il a également ses désavantages: c'est un poison pour le coeur et le foie. Des débats homériques eurent lieu entre partisans et détracteurs du chloroforme et de l'éther. Il fallut attendre les années 40 pour que le chloroforme marque définitivement le pas.
Entre-temps, des anesthésistes ingénieux aidés par des
mécaniciens développèrent des appareils d'anesthésie
de plus en plus surs et maniables.
Le dosage précis des gaz anesthésiques était capital. Depuis
1910, les concentrations délivrées de gaz étaient déterminées
par des rotamètres (technique déjà utilisée dans
l'industrie). C'est ainsi que des vapors pour délivrer les vapeurs anesthésiantes
de plus en plus précis arrivèrent sur le marché.
Attendu qu'à chaque expiration du CO2, produit de la respiration, est
rejeté, le recyclage des gaz anesthésiants n'était pas
possible et de grands flux de gaz frais étaient nécessaires. Pour
épargner les gaz et diminuer la pollution atmosphérique, des absorbeurs
de CO2 furent montés en série sur le circuit expiratoire des appareils
d'anesthésie. Ce principe fut découvert en 1906 mais les premières
applications humaines datent de 1915.
Un des dangers liés
à l'anesthésie comme à tout état d'inconscience
est l'obstruction des voies aériennes supérieures par la chute
du massif lingual. Ce problème était déjà à
l'ordre du jour en 1869 et la possibilité d'une intubation endotrachéale
déjà investiguée. En premier lieu, la trachéotomie
fut la solution retenue (c'est le Belge André Vésale qui réalisa
la première trachéotomie chez le chien en 1542). Plus tard des
intubations nasales ou orales furent réalisées, d'abord à
l'aveugle ensuite facilitées par la laryngoscopie directe. Cela rendit
non seulement l'anesthésie beaucoup plus sûre mais procura aussi
une façon simple de réaliser une assistance ventilatoire. Cela
permit en outre d'utiliser des curares (en 1942) pendant les interventions chirurgicales,
ce qui facilitait le travail des chirurgiens mais aussi rendait possible la
chirurgie à thorax ouvert. La ventilation était tout d'abord manuelle
(1916) ensuite des appareils pneumatiques ou électriques prirent le relais.
La chirurgie à thorax ouvert fut longtemps un problème dû
au collapsus du poumon. Depuis 1876, et surtout aux alentours de 1905 on pensa
avoir la solution du problème. Il suffisait en effet de laisser la tête
du patient à l'air libre et de placer son corps ainsi que le chirurgien
dans une chambre où régnait une pression négative. Une
fois que l'intubation endotrachéale et la ventilation contrôlée
furent une réalité cette solution coûteuse et compliquée
fut rapidement abandonnée.
Les évolutions les plus marquantes de l'anesthésie eurent lieu
principalement en Angleterre et aux Etats-Unis. Sur le continent européen
l'anesthésie générale resta longtemps stationnaire et la
préférence était nette pour les anesthésies locales
ou rachidiennes.
La deuxième guerre mondiale fit rapidement changer cet état de
fait. Des médecins militaires américains vinrent pratiquer dans
les hôpitaux de campagnes et les autres. Les médecins du cru se
familiarisèrent avec leurs appareils d'anesthésie. Ces médecins
travaillèrent également pendant la guerre en Angleterre et apprirent
l'anesthésie.
La plupart des appareils d'anesthésie arrivés pendant la guerre restèrent après celle-ci, furent usés jusqu'à la corde et quelques un terminèrent leur vie au musée.
Dans l'immédiat après-guerre, un travail titanesque restait à
accomplir. Presque aucune des salles d'opération ne disposait d'un appareil
d'anesthésie, il n'y avait pas non plus d'oxygène ou de protoxyde
disponible. Les anesthésistes itinérants devaient tout apporter
eux-mêmes, y compris les drogues et le matériel d'intubation.
Cette période (1950-1960) est heureusement terminée. L'oxygène
et le protoxyde sont disponible dans les salles d'opération à
partir de centrale dans l'hôpital même. Les appareils d'anesthésie
délivrent les gaz et vapeurs anesthésiques de façon très
précises. Les fonctions vitales des patients sont contrôlées
par l'intermédiaire d'appareils électroniques sophistiqués.
Il y a même une tendance à remplacer les vapeurs anesthésiques
par des agents intraveineux. Les merveilleux appareils actuels se retrouveront
probablement au musée car tout finit par être une antiquité